Sur chaque puy, sur chaque cime - notre nation très chrétienne - t'éleva des chapelles au ras des nues; - toutes les fleurs de ses montagnes, - de Provence à la Bretagne - te brulèrent leur encens; et tous ses oisillons - te chantent les Sept Allégresses - qu'à Bethléem tu leur appris - quand tu berçais ton Fils enveloppé de lumière.
Il n'y a point de bourg qui, en émoi - ne te consacre chaque année son mois de mai - ô femme triomphante qui écrasa le serpent! et point de reine sur le trône - et point de prêtre dans son prêche, - sur mer point de marin ou de pâtre au désert - qui ne t'appelle Notre-Dame! - et l'univers, d'âme et de cœur, - Te prie agenouillé et s'unit au concert.
Mais si tu es, ô Bienheureuse, à Toulouse - Notre-Dame la Daurade, - car l'or pur du soleil est effacé par toi; - si entre Avignon, Marseille et Vence, - si tu es Notre-Dame de Provence, - car sainte Anne et sa tombe y appellent tes bienfaits, - sur la roche Corneille - du Puy, tu es, ô Vierge aimée, - Notre Dame de France, un nom que nous te fîmes!
Ta gloire croît de siècle en siècle, - car ton sein vierge est un ciboire - où mon Rédempteur s'incarne pour moi! - et tu es la merveille humaine - car dans son sang et dans sa fille, - Adam peut vénérer la Mère de son Dieu; - tu es près de Dieu l'avocate - qui défend l'homme et qui le couvre - contre le courroux du ciel et ses foudres vengeresses.
De ta couronne virginale - hier enfin unanime l'Église - a voulu dévoiler le diamant le plus beau; et le grand prêtre du Très-Haut, - celui qui tient l'anneau de Pierre, - a fait sur nos ténèbres resplendir le flambeau, - te proclamant Immaculée - comme la neige amoncelée - qui se fond en rivière au lever du soleil.
Neige du Liban, neige éternelle - où l'Idéal divin - s'était dit avant le temps de jeter son rayon, - neige pure, éblouissante, neige blanche - qui, au contact de l'étincelle, - illumina d'amour la terre et le ciel bleu, - neige plus que les lis brillante - que l'ange, nous dit l'Évangile, - de la part du Seigneur vint saluer!
Aujourd'hui les langues antiques - de notre France, ô fleur mystique, - veulent te saluer pour embaumer leur fin: - mères du peuple, humbles et craintives, - mais avec foi et de bon cœur, - avant que de mourir, elles viennent te demander - le sauvement de cette France - qui tant de fois rompit sa lance - pour défendre les uns ou pour aider les autres.
Les populaires parleries - de saint Elzéar, saint Hilaire, - de saint Vincent de Paul, du pèlerin saint Roch , - les pauvres vieilles défaillantes - que, dédaigneux, le monde oublie, - viennent te rendre grâce de t'être sur nos rocs - manifestée à l'innocence, - lorsque tu la ravis dans l'éclat de l'Extase, - lui parlant doucement en notre langue d'oc.
Louange à toi, Mère du Verbe! - Tu abaisses ainsi les superbes, - élevant les petits jusques à tes pieds blancs... - Et sur les montagnes bénies - que tu t'es choisies pour autels, - à la pointe des Alpes, au front des Pyrénées, - aussitôt prononcés tes oracles, - aussitôt les miracles se montrent, - et ta source aux malades moribonds rend la vie!
Arrière donc, science profane, - avec ta présomption qui s'obstine - à nier les pouvoirs du Maître tout-puissant; - toi qui te vantes d'êtres à point - pour maîtriser la grande nature, - arrière! Au fond des cœurs une autre voix s'entend - qui, surnaturelle, crie: - En bas, la science est défleurie, - en haut, au sein de Dieu, la science reste en fleurs.
Sainte Marie, éclaire-nous! - Que notre race ne s'enténèbre pas - dans les ivresses, la fumée et l'orgueil - de la matière! Oui, déchire - de ta splendeur la nuit obscure - qu'aujourd'hui sur le monde entier le mal répand; - avec ton Fils qui saigne encore sur ton giron, éblouis, ô Mère, - tous les malfaiteurs qui sèment l'ivraie.
8 décembre 1880 (Bloud et Gay, édit.)